« Au temps du 230 » créer c’est résister  !

« Au temps du 230 » créer c’est résister  !

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« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer » dixit Stéphane Hessel, illustre auteur du manifeste « indignez-vous ». Et comment ne pas sindigner quand le privé, lintime, relève toujours du domaine de lautorité publique en Tunisie ?

 

C’est par une exposition collective, organisée par l’association Chouf, que des artistes tunisiens se sont justement indignés contre un article du Code pénal. Il s’agit du tristement célèbre article 230 ! Un texte de loi qui a fait couler de l’encre ces dernières années, car il est tout simplement en contradiction avec la nouvelle constitution tunisienne et qu’il porte atteinte à la dignité et à la vie privée des personnes.

 

L’exposition que Dar Bach Hamba a hébergée du 17 au 20 mai, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, a rassemblé douze artistes tunisiens.

 

Certains ont puisé dans leur œuvre déjà existante, des créations qui mettent en avant le corps humain, le corps féminin, interrogeant les souffrances et les tabous. D’autres ont créé une œuvre spécialement pour l’occasion comme Aïcha Snoussi. Habituée à dessiner avec l’encre de Chine, elle utilise comme support les cahiers.

Ces cahiers symbole de notre enfance où l’on notait ce que l’on nous apprenait. Et il faut dire que l’homophobie ou le sexisme s’apprennent dès l’enfance.

« Ces cahiers au sol sont une encyclopédie de l’anti-savoir, un travail de déconstruction », nous dit-elle. Comme une élève punie, elle a écrit des centaines de fois le même mot. Ce mot peut être une insulte qui par la répétition devient un stigmate.

 

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Installation artistique de Aïcha Snoussi

 

Esthétique de la douleur humaine ? Probablement, mais l’exposition vise surtout à susciter les questionnements et à interpeller sur un état des lieux, celui des libertés personnelles garanties par la constitution. Elle tente de déconstruire les clichés et l’héritage culturel de la société tunisienne.

L’art a souvent été synonyme de lutte et de résistance, en temps de guerre comme en temps « normal ». Refuser l’injustice, la dénoncer, défier l’interdiction a été le lot de générations d’artistes. L’expression artistique a besoin de liberté et la liberté en contrepartie, a besoin des artistes pour survivre.

 

En Tunisie si l’effet de la révolution a agi sur le champ politique, il reste beaucoup à faire sur le plan culturel. Les mœurs quant à elles, peinent à évoluer dans une société qui s’attache à une identité de groupe où l’individu est renié.

Des jeunes tentent aujourd’hui de s’émanciper, revendiquant leur différence et tentant d’échapper aux lourdes traditions contraignantes. Une prise de conscience de l’importance des droits corporels est née, mais elle évolue timidement. Elle fait paradoxalement face à une législation des plus archaïques.

Lors du dernier examen périodique universel par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, la Tunisie a reçu des recommandations qu’elle doit respecter pour préserver sa nouvelle réputation en tant que pays démocratique.

L’égalité et la non-discrimination à l’égard des femmes et des minorités sexuelles viennent en tête de ces recommandations.

 

En attendant que l’homosexualité ne soit plus passible de peine d’emprisonnement, que disparaissent des pratiques inacceptables telles que le test anal, l’art sera l’une des formes pacifiques, mais fortes, de lutte pour une société toujours plus juste en Tunisie.

        

 

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Loukanda, technique mixte sur toile par Ilyes Messaoudi

 

Photo de couverture : Corps et masque/Machine à Danse de Nidhal Chamekh